Salaam,
J’ai tenté de repousser
le plus longtemps possible ce moment d’écrire un blog. Marie me le fait remarquer à tous
les deux jours (C'est pas vrai qu'elle me dit). J’avoue que c’est par paresse. À force d’écrire ma thèse à tous
les jours, j’ai de la difficulté à changer de registre d’écriture. Je suis
également intimidé. Moi qui mets tellement d’efforts (4 ans de thèse) à critiquer tout ce qui
s’écrit sur l’Iran… comment faire pour ne pas tomber dans les mêmes pièges?
Pour ne pas dogmatiser ou exotiser l’autre? Pour ne pas rester dans les clichés
tout en résumant le tout en quelques paragraphes? Well, je me suis rendu à
l’évidence que c’est impossible… alors voilà, ce qui suit sont, bien
humblement, mes clichés ou j’espère, alter-clichés de touriste sur notre aventure
de 3 semaines en Iran.
La frousse, ça sert d’abord à gagner des élections
Cela doit bien faire 6
ans que je veux voir l’Iran de mes propres yeux. Plus le temps avançait, et
plus je sentais un grand malaise à parler de l’Iran, même si ce n’était généralement
que pour parler de la perspective russe ou américaine. Je me sentais terriblement
dépendant des nouvelles, des bouquins et, on ne peut pas y échapper, à toute
la culture populaire américaine qui a fait de ce pays l’ennemi numéro un sur
nos milles et un écrans. La tendance depuis la révolution islamique de 1979,
mais surtout depuis l’élection d’Ahmadinejad en 2005, a été de faire de l’Iran
le pays de la frousse. Et la frousse de
l’Iran, ça sert d’abord à gagner des élections. Parlez-en à Ronald Reagan qui a
défait Jimmy Carter en partie sur ce thème. Plus récemment, parlez-en à
Benjamin Netanyahu, le premier ministre d’Israel. Encore plus proche de nous,
parlez-en à Obama et au choix d’y aller de l’avant avec des sanctions
internationales contre l’Iran en 2010… plutôt que de donner la chance au Brésil
et à la Turquie de tester leur fameuse déclaration de Téhéran. Encore encore
plus proche de nous, parlez-en à Stephen Harper et à John Baird et à leur
succès électoral dans le comté de Thornhill à Toronto et aux sueurs froides
qu’ils ont procuré à M. Cutler dans le comté de Mont-Royal… Comme dirait le bon
vieux Machiavel, la peur demeure toujours un des outils les plus efficaces en
politique. Bien-sûr, le gouvernement iranien a tendance à ne pas s’aider en la
matière et à fournir le matériel nécessaire à sa démonisation.
Fresque sur le mur de l'ancienne ambassade américaine
Entrée principale de l'ancienne ambassade américaine... et le rotor de l'hélico qui a tenté de sauver les otages. Il s'était écrasé en raison de problèmes techniques!
Lorsque vous téléphonez afin de savoir que faire dans le cas d’une perte de passeport dans un pays sans ambassade canadienne depuis 2012, l’assistant du Ministère des Affaires Étranges du Canada ne vous donne pas de renseignements, il vous remet à l’ordre: ‘Monsieur, vous ne devriez pas aller en Iran’. L’assistant n’est pas plus avisé qu’un humble profane de la politique internationale. Il me récite, mots à mots, la même page web d’avertissement de travel.gc.ca. Ah oui, et si on perd notre passeport, on nous informe d’aller à l’ambassade du Canada en Turquie… (Il y a une frontière fermée entre les deux!) Après avoir passé mes 4 dernières années autour de la planète, je vous avoue que ma plus grande frousse réside dans toute bureaucratie, quelle soit canadienne, britannique, ou iranienne, c’est universel. J’en ai plus peur que tous les grands méchants sur nos milles et un écrans!
Bande dessinée avec Khomeiny, comme héros, tout près du Bazar
Nous atterrissons à
Téhéran le 14 mai. La frousse est de mise. Je n’ai jamais été dans un avion qui
tente d’atterrir par gros vents du désert. Pas besoin de faire du parachute ici
pour sentir que l’on saute de poche d’air en poche d’air. La frousse est encore
de mise lorsque nous passons les douanes. Malgré tout mon sens critique, la
mise en ennemi de l’Iran sur nos milles et un écrans afflige mon petit cerveau
avec des images d’intimidation, d’interrogatoire, de détention et j’en passe.
On remarque assez vite que nous sommes devant un douanier comme tous les
autres. Il est blasé à l’os et semble avoir vraiment hâte de finir son chiffre.
Finalement, si vous avez un visa, entrer en Iran est plus simple que de rentrer
aux États-Unis. Pas de questions, pas de sac fouillé et en prime, un chauffeur
de taxi qui parle un bon anglais, qui nous apprend les chiffres arabes
classiques utilisés en Iran, et qui nous résume les 113 musées à visiter à
Téhéran.
Du non-familier au familier, du dépaysement au
paysement
Nous découvrons, petit
à petit, que l’Iran, ce n’est pas le pays des Ayatollahs, des terroristes ou du
programme nucléaire iranien. L’Iran c’est Marie, Phil, Ali et
Céline Dion dans le désert de Yazd. Je m'explique. Yazd est une cité du désert d’environ 500 000
personnes ceinturée de montagnes de roc. Le climat y est tellement aride, sans une goûte d'eau à l'horizon, qu’on
se demande bien comment les ancêtres iraniens ont pu vivre en ce lieu. À midi,
il doit bien faire 40 degrés à l’ombre, ce qui nous transforme, petit à petit,
comme des raisins secs. L’eau y est tellement rare que ses habitants ont
développé l’art des qanâts, des canaux souterrains pouvant transporter de l’eau
sur des kilomètres. Pourtant d’apparence austère pour l’humain, Yazd est foisonne d'expérience humaine. Il s'agit d'un carrefour de religion qui a inspiré Khatami et son fameux dialogue des civilizations. Plusieurs croyances religieuses semblent y vivre en harmonie
entre chiites, zoroastriens et juifs.
Désert de Yazd en route vers Chak Chak
Meybod, banlieue de Yazd. Au loin, un ancien frigo naturel en forme d'oeuf à la coque où on accumulait de la glace à une certaine époque.
Ali, notre guide, nous
emmène autour de sa ville pour nous faire contempler les vestiges de la civilisation
perse. Toute trace du passé en Iran est l’occasion de faire un musée du plus
simple bureau de poste au plus somptueux des palais. Après notre premier site,
nous roulons à vive allure dans le désert. Dans les hauts-parleurs de la
voiture, Céline Dion nous tient compagnie. Ali nous apprend que ce n’est pas par hasard. Dès qu’il a appris qu’il guidait des québécois, c’était une occasion de
mettre du Céline, du plus mauvais au meilleur de ses albums. C’était,
peut-être, une manière que l’on se sente chez soi dans le paysage le plus
éloigné qui soit, de chez soi.
Chak Chak, haut lieu de culte Zoroastrien à flanc de falaise. Un peu plus haut que l'Oratoire St-Joseph
Si selon Kathleen, le
mot ‘dépaysement’ est un des seuls mots de la langue française qui est
intraduisible, les iraniens sont les maitres du ‘paysement’. Je ne pense pas
faire dans le cliché en disant que leur hospitalité est légendaire. Elle est à l’image de
deux amis d’enfance qui se retrouvent après un long périple (clin d'oeil à Louis-Philippe). Combien de fois
avons-nous dû nous battre pour payer une facture de diner… combien de fois
avons-nous perdu la bataille. Combien de fois avons-nous été abordés dans la rue
pour simplement nous souhaiter la bienvenue dans Shiraz, Esfahan, Yazd, et Tahran?
Combien de fois un étudiant, un retraité ou même un teneur de boutique se seraient
improvisés comme guide toute la journée si on ne les avait pas arrêtés. On ne
les compte plus. Et à force d’hospitalité légendaire, nous avons, après
seulement trois semaines, presque fini par adopté les choses qui semblaient les plus dépaysantes à première vue.
Payer en Iran est compliqué
pour le non-initié. 1$ américain vaut 32 700 rials. (Pour les boomers qui
aiment jaser du prix le l’essence, 1 litre d’essence vaut 10 000 rials, ce qui
équivaut à 33 cents US le litre, prix post sanctions… ce qui n’aide pas au
parfum d’exhauste qui trône dans les rues de Téhéran). En revanche, les commerçants
ne parlent pas en rials. Ils préfèrent parler en tomans, ce qui équivaut à 10
rials. Pourquoi 10 alors qu’il y a, quant à nous, déjà au moins trois zéros de
trop??? Well, on ne sait pas. Certains parlent en Khomeiny… le problème est que
l’image de l’Imam Khomeiny est sur un billet de banque sur deux. Alors au
début, qu’est-ce que nous faisions? Nous faisions les touristes et nous
donnions quelques billets, un peu incrédule, généralement trop sans
savoir…(c’est à dire déjà pas grand chose de plus en $ canadiens). On nous
regardait généralement avec des gros yeux et on finissait toujours par nous redonner de
l’argent. Un serveur nous a rejoint en courant une fois pour nous redonner son pourboire… Un jeune artisan du sandwich a pigé le bon montant dans ma liasse de
billets devant lui… laissant pratiquement tous mes billets et ne prenant que 50 000 rials (1,70$). Bref, il est sans doute possible de se faire escroquer en
Iran, mais il faut y mettre l’effort.
Marie qui contemple, pour la première fois, le fait d'être multi-millionaire
La même chose vaut pour
l’hébergement. En tant que Québécois, il faudrait se forcer pour passer la nuit
sur un banc de parc en Iran. Vous venez de Montreal! ‘Avez-vous un endroit où
rester? J’ai une chambre de libre climatisé?’ ou encore, 'Pourquoi restez-vous
dans cet hôtel budget, un bon ami à moi peut vous héberger sans problèmes!' Ce qui nous
semble absurde, c’est à dire, fraterniser avec un touriste comme s’il était un
ami de longue date, semble tout à fait normal ici. Au début, c’est le dépaysement.
Les réflexes de méfiance, aiguisés par 3 semaines de résistance aux
escrocs en Turquie, font leur œuvre. Mais après un peu de temps, nous
avons retrouvé notre humanité et on s’est prêté au jeu de la découverte. Attention,
prenez garde! Si vous demandez votre chemin à quelqu’un, attendez-vous à passer
au moins une heure avec cette personne autour d’un bon thé. Attendez-vous, s’il
ne parle pas anglais, à ce qu’il appelle quelqu’un de la famille pour servir de
traducteur et pour vous inviter à souper par la suite! C’est génial, bien que
ça empêche de suivre les plans de match de journée.
Selfie devant le palais de Darius à Persépolis, la capitale de l'Empire perse qui, il y a longtemps de cela, a fait trembler l'Occident. (Et Sofya, la nouvelle tortue de Brianna)
La traversée des rues
nous semblait une véritable épreuve digne de Fort Boyard. Mieux, l’équivalent, à
chaque fois, de la fameuse scène de traversée de l’autoroute d’Eddy Murphy dans
Bowfinger (1999) (voir ci-dessous). Vous étiez sur le bout de votre chaise dans la
scène de poursuite de James Bond à moto dans le bazar d'Istanbul dans Skyfall? Il n’y a
aucun intérêt à embaucher des cascadeurs ici, la même scène se déroule partout! Et nous
sommes toujours étonnés de ne pas avoir été témoins d’un seul accident. ‘Ne
vous en faites pas, les voitures arrêteront ou vous contourneront’. Ichhh, rien
ne nous semblait d'une telle évidence. Chaque traversée était une aventure. Mais, le non-familier finit toujours par se métamorphoser en familier. Durant nos derniers jours à Téhéran, nous traversions la rue comme des
iraniens, avec confiance, la tête haute et le rythme, constant. Nous nous sommes également réconciliés
avec les chauffeurs de taxi. Aller à reculons sur l’autoroute parce que vous
avez manqué votre sortie? Pourquoi pas! Votre chauffeur ne trouve pas son
chemin? Il demandera aux voitures voisines aux feux rouges (ou verts!), aux passants, aux motocyclistes…
bref, à tout ceux qui peuvent parler farsi jusqu’à temps que vous soyez rendu à
bon port. Un ami iranien vous escorte (Clin d'oeil à Mustafa)? Il fraternise tellement avec le
chauffeur que vous pensez, pendant un instant, qu’il doit être membre de sa
famille. Comme disait Yosdra, les iraniens ont compris quelque chose que nous
n’avons pas compris (en Égypte de son côté et je dirais en Amérique du Nord notre côté de l'Océan).
Bowfinger et la fameuse scène de traversée de l'autoroute. Or Everyday Tahran
Traffic de Téhéran, notez le sens de la circulation qui ne semble pas faire l'unanimité ainsi que l'usage des trottoirs pour ... motos?
La fameuse poursuite sur le grand bazar
Durant notre première journée, alors que
j’écoutais les grands monologues des conférenciers iraniens... sur la nécessité du dialogue entre les civilisations..., une belle iranienne est venue s’asseoir
juste à mes côtés. Je ne l’avais pas reconnue… en moins de 12 heures
d’arrivée, Marie s’était métamorphosée. Elle était vêtue et maquillée comme une
iranienne. Je pense qu’elle intégrait tellement le paysage qu’il n’y a pas une
journée où quelqu’un n’a pas tenté de lui demander son chemin en farsi. Maatesade, Farsi nist. Si vous aviez vu la surprise sur le regard de ces gens!
Marie, la chic iranienne, qui s'entraîne dans le parc des artistes
Befarmayen, voilà! Je
pourrais continuer comme ça longtemps, mais tout ça pour dire que les endroits
que nous pensons les plus étranges, les plus austères et les plus insécures
sont souvent tout le contraire. Mais où est la politique iranienne dans ce
blogue, les droits de l’homme, la pensée des profs, des étudiants, des
autorités, et des ayatollahs que tu as rencontrés? Well, avant de rentrer dans tout
ça, il fallait commencer par le plus important.
Khodafez,
Philos à Jakarta




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