Cela fait des mois que je
ne vous ai rien écrits. Mon courrier du lecteur a commencé par des compliments
pour graduellement exprimer des signes d’impatience. Un certain lecteur me
révèle en avoir eu marre de mes fausses promesses. Son divertissement étant
trop peu souvent assouvi par le blog, il a décidé de l’oublier et d’arrêter
d’aller voir si un nouveau message allait s’ajouter. Je l’avoue, je l’ai
oublié, moi aussi, ce blog. La fièvre de compléter ma thèse à temps s’est mise
à prendre toute la place. Une file d’attente pour un billet de musée se
transformait en 10 minutes d’écriture ; un moment de relaxation avant le
dodo se transformait en 1 heure d’écriture de plus et une journée de transport
en bus, en train ou en avion, se transformait en 8 heures de travail. Ma thèse
s’est mise à coloniser ma vie, comme elle s’est mise à coloniser le voyage.
Visiter des attractions touristiques devenait une opportunité pour ressasser
les paragraphes passées et à venir. J’ai tout oublié, incluant mon couple… par
moment… bien que lui, heureusement, ne m’a pas oublié.
Comment écrire une thèse sur la route (train indien)
Une autre lectrice m’a révélée être excédée par ce qu’elle juge être un blog d’intellos. Je vous aie gardé un extrait: ‘Pas une 2e partie sur la religion !!! Tu vas encore nous manifester le malaise pendant 3 pages ? Maudit platonicien du calice ! Vous l’aurez deviné, le matricule 728 figure parmi mes lectrices. Mais non, cher matricule, je ne pourrais pas continuer à réciter mes malaises. Plus le temps avançait dans ce voyage, et moins nous réagissions avec malaise devant les manifestations du religieux.
Vous faisiez quoi, par
exemple, quand des israéliens ont transformé votre hôtel en synagogue pour
le sabbat à 4000 mètres d’altitude au Népal. Vous faisiez quoi quand vous avez
partagé une pizza avec des américains convertis en moines indous près du
Ganges? Vous faisiez quoi quand Marie-Ève est devenue une pro du Karma ? On
réagissait, parfois, comme on réagit devant la manifestation d’une chose
devenue trop familière comme on réagit devant une énième gaffe de Justin
Trudeau, par exemple.
Le Sabbath, ça se fait également à 4-5000m d'altitude
Mais revenons à nos
moutons. Revenons au mot ‘pénis’ qui, je l’espère, a fait cliquer plus d’un sur
ce blog et sur sa seconde partie. Cette fois-ci, j’espère assouvir votre
curiosité sur ce membre fascinant… et sa relation, autant fascinante, avec la religion.
À la sortie du palais Niavaran à Téhéran, ancien palais du Shah d’Iran, un
doctorant me prend à part du groupe, et spécialement de ma femme (MC est ma
femme en Iran). Il doit me dire, à l’abri des oreilles environnantes, ce qu’il
pense de la religion. Derrière une colonne du palais, ma femme ne serait pas
outrée par ce qu’il a à me dire : ‘La religion, c’est comme ton pénis, c’est correct, tu
peux en être fier, mais gardes-le dans tes pantalons’.
Ma 'femme' aux oreilles sensibles
Pour lui, la République
Islamique a exactement fait le contraire. Elle a décidé d’être la plus
ostentatoire possible avec sa religion. Elle l’a exprimée sur des centaines de
fresque à Téhéran, sur le code vestimentaire et jusqu’à l’orientation des
complexes hôteliers, vers la Mecque bien-sûr. Pour ce doctorant, la République
Islamique s’est rendue coupable d’exhibitionnisme religieux. Quand on lui
parlait de la Révolution Tranquille au Québec, ses yeux s’émerveillaient:
‘C’est exactement ça… On nous a tellement écoeuré avec ça, moi et mon père,
qu’on ne veut plus rien savoir.’ Sans succès, j’ai tenté de nuancer cette
expérience révolutionnaire, dites, tranquille.
Fresque de 'you know who'
On ne peut pas sortir
de la religion comme on sort une vieille sécheuse de chez soi. Elle laisse ses
marques sur la culture, le corps et l’esprit. On reproduit, de manière
consciente ou inconsciente, son mode de fonctionnement, de manière souvent
dogmatique. ‘Alors chez vous, vous n’êtes plus pratiquants?’ Bien, je dirais
que nous sommes passés d’un extrême à un autre mon cher. Nous avons fait de
l’athéisme et du sécularisme une religion… et on a bien du mal avec les
hérétiques, plus souvent qu’autrement, bien tranquille.
Ah, pas lui!
Circuit des Annapurna,
Népal. Nous rencontrons Embi, un chinois de la région de Shanghai. Il nous
adopte instantanément. Il ne sait pas lire les caractères latins, ne sait pas
lire une carte et encore moins une boussole. On doit lui donner qu’il parle
littéralement trois mots d’anglais et qu’il aime le riz et le rhum népalais
comme il aime bien en témoigner en haussant la voix. (C’est vraiment cliché,
mais merde, les clichés ne viennent pas toujours de nul part!). Bref, je pense
que c’était pratique pour lui de suivre notre groupe de randonneurs bien
préparé. Puisqu’il arrivait tout juste du Tibet, j’arrive à lui demander ce
qu’il pense du bouddhisme. ‘I like budhism, you buddhism ? If you muslim, I
KILL YOU’. À ce moment là, j’aurais bien aimé être musulman, juste pour voir sa
réaction, mais malheureusement je ne le suis pas… et puisque je viens de dire
qu’on ne peut pas se débarrasser d’une religion comme on se débarrasse d’une
vieille sécheuse, il faut bien que je puisse répondre quelque chose. Pour ça,
je dois faire un détour par la plongée.
Padang Bay, Bali: Je
n’avais pas plongée depuis 10 ans… mes seules plongées s’étant déroulées dans
un lac québécois à la fin du mois d’octobre, brrrrr. Lors de notre deuxième
plongée, j’ai pris conscience de ma vulnérabilité. Le courant s’est mis à
m’emporter, comme une crevette. Je perdais petit à petit, tous mes points de repères.
Je me suis mis à tourner la tête, au ralenti, à la recherche de mon guide. À ce
moment, je suis rentré presque en collision avec Ganesh. C’est un Dieu indou qui
a l’apparence d’un éléphant à quatre bras (et qui utilise deux rats comme moyen
de transport). Ce n’était pas une révélation, mais bien une statue à 10 mètres
de profondeur. Enfin, un point de référence, avant de laisser mon corps
poursuivre sa gymnastique de crevette, poussé par le courant. Je me suis dit
alors que ça doit être ça que l’on recherche dans la religion. Dans les eaux
incertaines de la vie, on se rassure, collectivement, sur notre monde en
s’orientant ou en se cramponnant sur des éléphants à quatre bras.
Crevette survivante grâce à Ganesh
Ce que l’histoire ne
dit pas, c’est que Vincent, le propriétaire du centre de plongée, est le
véritable architecte de ce qu’il entrevoit comme un futur temple sous-marin. ‘Avez-vous
vu Ganesh!?! Était-il encore debout?’ Il nous raconte qu’il a bien du mal à
faire tenir les statues devant la force des éléments. En réalité, Ganesh a
besoin d’une touche beaucoup plus humaine que transcendantale pour tenir sous
l’eau. Vincent raconte que pour les prochaines statues à l’effigie de Dieux indous
et bouddhistes, il les coulera dans le béton d’abord, pour mieux les faire
tenir. Ainsi, les statues pourront plus facilement être un point de repère pour
des plongeurs à la dérive dans un monde qui leur est étranger. Alors, si nous
sommes conscients de cette main invisible, souvent humaine, qui soutient les
religions, pourquoi cette insatiable besoin de donner un sens à notre vie ne
semble pas s’évanouir? Pourquoi avons-nous rencontré tant de convertis,
américains, européens, asiatiques, sur notre chemin?
Ganesh
Les plongeurs de Geko Dive déposent les socles à statues divines
Encore plus paradoxale
en cette soi-disante ère de sécularisme, nous nous sommes vite rendu compte que
les principales attractions touristiques dans le monde semblent être des
attractions religieuses. Si vous aviez vu la horde de touristes (occidentaux et
autres) à tous les monuments religieux sur notre passage, c’est assez
énigmatique. Combien de temples avons-nous
vu? Je ne les compte même plus. Le plus facile serait de dire que c’est parce
que c’est historique… et qu’on aime bien ça l’histoire pour l’histoire. Voir
des vestiges, de la poussière, c’est pour ça qu’on parcoure des milliers de
kilomètres en avion. Hum, c’est peut-être plutôt parce que visiter ces lieux
religieux nous offre des points de référence dans le temps, comme le plongeur
et sa statue de Ganesh. Ces lieux religieux nous permettent, peut-être, de se
mettre à califourchon sur la flèche du temps et de se donner l’impression qu’on
avance, vers on ne sait trop où, mais qu’on avance. ‘Nous en étions là, comme
eux, ils en sont encore là, bref, nous sommes en avance’. Mais je dois encore
me tromper, en tant que platonicien du calice. Peut-être visitons-nous ces
lieux en réponse à une certaine forme d’autorité. ‘Le Saint-Lonely Planet dit
d’aller voir ca, on est ici pour pas longtemps, on ne ratera pas une telle
opportunité.’ Sinon, on risque un immense sentiment de culpabilité. Hum, en
somme, c’est peut-être un petit mélange de tout ça, bien que ma naïveté espère
encore quelque chose de plus noble.
Saucette sur le bord du Ganges, Varanasi
À ce titre, peut-être
visitons-nous autant de temple parce que nous sommes simplement émerveillés par
leur beauté. Fascinés, curieux. En rétrospective, j’éprouve une certaine
tristesse à visiter ces lieux. Pas que je suis réactionnaire, mais j’ai du mal
à accepter notre ligne du temps avec ces lieux comme lointain passé. Ça me fait
penser au bon vieux Benia qui m’avait invité à écouter un concert de Beethoven à
la Cathédrale Notre-Dame des Sept douleurs à Verdun. Je n’en revenais tout
simplement pas de la beauté des lieux. Je n’en revenais pas que nos ancêtres
(probablement d’origine irlandaise) ont bâti une telle merveille pour
accueillir le bon vieux Beeth. Aujourd’hui, qu’est-ce qui pourrait créer autant
d’inspiration, de dévotion? Peut-être l’amour, la seule passion encore légitime
(mais pas trop) dans nos sociétés. Peut-être l’argent... Alors nous bâtirons
des temples de la consommation. Oups, nous le faisons déjà.


Ion Orchard Mall, Singapore
En lointain écho aux
multiples temples visités, visiter les grandes villes d’Asie du Sud-Est passe
par leurs mails ultra-modernes. Je vous le dis, ces mails ont de quoi rendre
jaloux tous nos centres d’achats qui semblent dater de la préhistoire. Le mail,
ultra-moderne, est devenu le centre de la vie social. À Kuala Lumpur et à
Singapour, il est impossible de passer une journée sans en croiser 3 ou 4. Mon
ami F-X me faisait remarquer que les grands commerces ont peu à peu remplacés
les Églises comme le cœur des centres urbains. Ces mails sont devenus le cœur
qui tient toute la toile de la société ensemble. Il n’a donc rien d’étonnant de
constater que, selon un certain sondage Crop effectué cette année, les jeunes
de 18-24 ans (l’avenir by the way), ont sélectionné le chèque de paye comme la
quête ultime de la vie. À travers l’assouvissement d’objets de consommation, un
point de référence, éphémère, est créé… et quand il finit par disparaitre, il
suffit de recommencer. Un ami iranien nous apprend qu’une longue file d’attente
de bénévoles existe pour recouvrir les mosquées chiites de milliers de miroirs.
Au magasin Apple du Dix-30, je lui apprends que les gens font la file pour le
prochain IPhone. Nous ne vivons pas dans deux mondes différents, mais exactement
le même.
Pour révéler la
religion d’une communauté, j’ai compris qu’il suffit d’observer leur champ
lexical le plus régulièrement employé. Par exemple : la secte des
plongeurs de Lembeh. À tous les jours, Fernando, l’Espagnol, conjuguait le seul
verbe qu’il connaissait parfaitement en anglais. ‘Dive? You dive today? She
dove yesterday? You don’t dive? How come? Me dive? Saw Trumpetfishes? Sharks?
Sea Turtles? » Sortir, trop longtemps, du champ lexical de la plongée te
fait sortir de la communauté. Pour d’autres, comme l’a si bien dit notre Joe
Oliver adoré, c’est le soccer. ‘It is the only thing that can give meaning to
their existence’. ‘Football is a religion’. Et pour vous? Well, je dois dire
que j’ai un peu trop mobilisé le champ lexical du voyage ces derniers temps… je
vais devoir me trouver une autre religion en attendant de repartir… et j’espère
de tout mon cœur que ce ne sera pas : ‘thesis thesis, paper, paper, paper,
Foucault, journal, Wittgenstein, write, write, workshop, conference,
tenure-track, grant, grant, lecture, viva viva, viva la vita’.
L'excellent John Oliver exprimant comment le soccer est une religion
La vita est Bouddha
À bientôt,
El Philos


